Un colloque dédié à maître renard

22 mai 2017



Pour inaugurer cette nouvelle catégorie du blog, qui vise à vous emmener dans des muséums, parc animaliers, et autres expositions à thème animalier, je vais (déjà) sortir des sentiers battus et vous parler du colloque Renard, organisé par l'ASPAS  (l'Association de Protection des Animaux Sauvages) qui se déroulait les 12 et 13 mai 2017 à l'Université Pierre et Marie Curie à Paris.
 

J'ai découvert l'existence de ce colloque par l'entremise de Marc Giraud, naturaliste, guide nature, illustrateur, auteur et chroniqueur radio qui encadrait les débats et s'était investi dans l'organisation du dit colloque.

J'étais très curieuse de m'y rendre car c'est, à ma connaissance, le premier colloque du genre: ouvert à tous, gratuit, et faisant intervenir des professionnels de divers horizons, sous la tutelle d'une association de protection de la nature. Le côté multi-horizon est ce qui m'a définitivement attirée, et je n'ai pas été déçue.

Je craignais que le côté houleux du sujet, l'opposition défenseur des renards/chasseurs nous emmènent sur un terrain de polémique agressive, guidé par des émotions exacerbées, assez peu propice à faire avancer le débat. Et il n'en a rien été !
Et j'ai été très agréablement surprise de la qualité tant scientifique qu'instructive de cet événement, alors une fois encore, merci à tous les participants et organisateurs de ce colloque ! J'espère que d'autres verront le jour.

Pour ma part, j'y suis allée le vendredi et ai assisté à toutes les présentations orales de cette journée, mai j'ai dû filer avant la projection du film documentaire. Dommage !
L'ensemble du programme est disponible ici.
Le colloque avait lieu dans un amphithéâtre d'un des bâtiments de l'université Pierre et Marie Curie. Et disons-le tout de suite, le lieu ne manquait pas de classe ! 


La première présentation de Denis-Richard Blackbourn, rattaché au Muséum National d'Histoire Naturelle, traitait de l'histoire générale du renard à travers les époques. Il y évoquait son statut particulier: proche de l'Homme mais sans jamais avoir été réellement domestiqué à l'exception des expériences de Dmitri Beliaïev  sur les renards argentés, et dont j'aimerai vous parler plus longuement dans un article à part. Il a réussi dans les années 70 à domestiquer les renards et après plusieurs générations de croisement, les a rendu dociles mais les a aussi modifiés morphologiquement et physiologiquement : peu à peu, les animaux ressemblaient de plus en plus à notre chien domestique.

Dmitri Beliaïev et ses renards domestiques
 Il brossa ensuite un portrait historique à travers les différentes mythologies et traditions populaires : omniprésent chez Ésope (42 fables comportent des renards sur les 257 écrites ), accusé de duplicité, esprits effrayants en Asie (les Kitsune de Chine et du Japon),  rusé et fourbe pour les grecs, outils de vengeance dans la Bible, où 300 renards à la queue enflammée étaient envoyés par Samson au Philistins, compagnon des sorcières, représentation du malin...une chose est sûre, l'ami goupil ne nous a jamais laissé indifférents ! 

Version moderne du Roman de Renart, best-seller médiéval, illustré ici par Simonne Baudoin


Vint ensuite la présentation de Sandrine Ruette, agent de l'Office National de la Chasse et de la Faune Sauvage, responsable du pôle petits carnivores. Une présentation technique, mais très instructive à mon sens. Elle expliquait, publications scientifiques à l'appui, comment étaient réalisés les suivis de population et les indices de densité. Concrètement, comment on relevait l'effectif de ces animaux (la nuit, en voiture, avec des phares, pour compter les individus). Elle expliquait ensuite que les abattages massifs ne faisaient pas forcément diminuer la population des renards.

Diapositive de Sandrine Ruette expliquant la dynamique de population du renard
En effet, même si beaucoup de renards sont tués, d'autres renards migrent et viennent combler les niches écologiques laissées vides par les renards tués. On parle de phénomène de compensation par l'immigration. Donc, toutes ces chasses intensives sont, en plus d'être barbares, très inutiles pour "réguler" la population qui se gère très bien toute seule.
Elle faisait aussi mention des dégâts réalisés par les renards sur les poulaillers, lors d'une étude sur le poulet de Bresse, les bocages et les petits prédateurs. Et même s'il ne faut pas nier les pertes engendrées par les prédateurs (estimées à 13,3 % en 2012-2013), il reste très difficile d'effectivement trouver le coupable. Chiens, chats ou fouines peuvent eux aussi très bien s'en prendre aux volailles laissées en extérieur.


Les deux conférences suivantes animées par Anaïs Mohamed, étudiante en M2 à Nanterre, et Xavier Japiot et Thomas Charachon, affectés à l'Agence d'Écologie Urbaine et à la mairie de Paris, nous parlaient du renard urbain, et plus particulièrement du renard dans Paris.
J'y ai appris que le renard était classé "nuisible" dans 91 départements français, mais que ce n'était pas le cas dans Paris et du sud de la petite couronne (92, 93, 94). En toute logique, il s'est mis à investir les grands espaces boisés de la capitale : le bois de Vincennes et le bois de Boulogne et ce dès 1984.
La population reste modeste, notamment réduite par une épidémie de gale entre 2014 et 2015. En 2012, on comptait une vingtaine d'individus dans le bois de Vincennes. On est donc encore bien loin des 10 000 goupils annoncés dans les rues de Londres.




Vint ensuite François Moutou, vétérinaire mais aussi vulgarisateur scientifique prolifique, qui nous expliquait de manière très claire et pédagogique, les différentes pathologies que l'on attribue encore au renard et qui justifierait, selon les associations de chasse, son extermination. Un arrêté préfectoral de 2016 incite même à éradiquer le renard pour lutter contre ces maladies.

Sa présentation argumentée avec brio démontait une à une chacune de ces assertions et nous démontrait que chacune de ces pathologies pouvait tout aussi bien être transmise par les animaux domestiques, comme le chat et le chien, bien plus dangereux, du fait de leur proximité avec l'Homme.
 On reproche aux renards d'être porteurs de tout un tas de maladies diverses et variées de par leur mode de transmission : échinococcose alvéolaire (ver intestinal), néosporose (parasites unicellulaires), gale sarcoptique (une maladie de peau transmise par un acarien), ou même encore la rage (virus) ou la maladie de Lyme (transmise par les tiques). 


En vrac et dans le désordre : la gale peut être transmise par une multitude d'espèce autres que le renard. Quant à la maladie de Lyme, il y aura encore davantage de tiques en abattant les renards, car les rongeurs, leurs proies, sont eux-aussi porteurs de tiques qui vont alors pulluler. La leptospirose, elle, est en fait uniquement transmise par des rongeurs aquatiques (ragondins et campagnols amphibies) et pas du tout par le renard. Concernant la rage, le dernier cas recensé sur le territoire français a été enregistré en 1998. Quant à la néosporose, qui provoque des avortements chez les bovins, les déclarations de cas ne sont pas faites systématiquement et il est très difficile de quantifier l'implication effective du renard dans la transmission de la maladie. 

La maladie qui déchaine le plus les passions est l'échinococcose. Celle-ci se transmet par un ver parasite que l'on trouve dans le sol et par l'intermédiaire de ses œufs. Cette maladie est transmise par les campagnols. Le cycle du parasite se poursuit alors via les prédateurs du campagnol, qui en l'ingérant, deviennent porteurs à leur tour de la maladie. Le truc, c'est que les chats et les chiens, vivant à la campagne, peuvent ingérer tout autant les campagnols parasités que les renards !

On dénombre entre 10 à 20 cas par an chez l'Homme en France ce qui reste, malgré tout, très réduit.

Cycle de vie de l'echinococcose
Ensuite, et pour enfoncer le clou, nous avons eu une présentation à 4 mains avec l'intervention de Nicolas Baron, doctorant en histoire  qui nous parlait de la rage, en l'abordant sous un angle à la fois historique et  biologique et de Marc Artois, vétérinaire et co-fondateur du réseau de surveillance sanitaire de la faune SAGIR. C'était là aussi fascinant.

J'y ai appris que l'épizootie, l'épidémie de rage en France a duré de 1968 à 1998, provoqué par l'arrivée d'animaux contaminés d'Allemagne et de Pologne.
On a compté jusqu'à 3664 bovins touchés par la rage. J'ignorais totalement que les bovins avaient pu être porteurs de la maladie.

Unes du magazine "La Hulotte"
 
S'en est suivi un massacre dans les règles à coup d'exécutions plus ou moins brutales: tirs de nuit, poison, piégeage, déterrage (une pratique qui a encore cours de nos jours, et qui consiste à envoyer un chien de chasse dans le terrier pour acculer l'animal, aboyer et signaler sa position, avant de creuser, et se saisir de l'animal à l'aide d'une pince. Charmant). Mais aussi gazage au Zyklon B, le gaz utilisé par les nazis dans les camps de la mort. Rien que ça. 

A partir de la fin des années 1980, une autre technique plus pacifique a tout de même été mise en place et une grande campagne de vaccination à l'aide d'appâts vaccinaux a pu voir le jour.

Vaccins anti-rabiques utilisés récemment au Québec pour lutter contre la rage du raton-laveur (comme quoi, les renards ne sont pas les seuls atteints !)


La présentation de Marc Artois était pleine d'énergie, d'humour et de dynamisme militant. Cependant, je ne pense pas pouvoir réellement vous la transcrire ici, c'était une conférence à vivre en direct, donnant plein de pistes de réflexions intéressantes sur la représentation, notamment : la représentation de la maladie, le rapport à l'animal politique, etc... le tout agrémenté de références aux  Racines du ciel de Romain Gary. Inspirant !

Chemise à lépidoptères et nœud papillon : je valide
Denis-Richard Blackbourn revenait ensuite au micro pour parler de l'intérêt économique du renard. Comme tous les carnivores, le renard joue un rôle primordial dans l'écosystème en régulant la population de petits mammifères (type campagnols, mulots, etc...) qui pullulent et ravagent les cultures. Il a d'ailleurs été dit maintes fois que, le renard était un associé de valeur pour les agriculteurs et qu'ils ne les chassaient nullement (et je regrette de ne pas avoir pu assister samedi à la conférence de Michelt Pritzy, agriculteur, pour entendre son point de vue).
Les chiffres qu'il  nous a donné étaient assez impressionnants ! 

Encore une illustration de Pierre Déom, l'auteur du magazine La Hulotte

Contrairement à ce que l'on pense, le renard n'entre pas tellement en compétition avec les chasseurs, puisqu'il chasse peu le gibier habituellement prisé par ces derniers (lapins, lièvres, faisans) et se nourrit surtout de petits rongeurs.

J'ai appris que les trois espèces de campagnols les plus répandues chez nous avaient des besoins énergétiques ÉNORMES ! Le campagnol agreste consommerait 11 kg/an de céréales en champ, le campagnol des champs, 8,5 kg/an et le campagnol terrestre, le plus répandu, jusqu'à 55 kg/an
 
Campagnol agreste
Campagnol des champs
Campagnol terrestre
Donc, imaginez les ravages provoqués dans les cultures sans l'intervention de prédateurs tels que le renard, et l'économie réalisée en le laissant débarrasser les cultures de ces grignoteurs compulsifs !   

La dernière conférence de la journée, présentée par Ariane Ambrosini, jusriste de l'ASPAS abordait le statut juridique du renard, et je l'attendais avec beaucoup d'impatience ! Déjà, pour définir exactement le statut de "nuisible" qui lui colle à la peau et qui restait assez peu clair dans mon esprit. Aujourd'hui dans les textes, pour le renard, le statut juridique de "nuisible" n'existe plus. A la place, on le désigne comme "espèce susceptible de causer des dégâts". 
Mais qu'en est-il réellement dans les faits ? 

Déjà ce statut d'animal à abattre est révisé tous les 3 ans par la Commission Départementale de la Chasse et de la Faune Sauvage (CDCFS), composée de chasseurs donc, qui soumet la proposition au préfet, via une proposition de liste, envoyée au Ministère en charge de l'écologie. Ce genre de votation se fait donc un peu en vase clos, et il n'est pas surprenant que son statut juridique n'évolue pas très rapidement.
 Le renard roux bénéficie donc d'un régime spécial. La chasse est ouverte de septembre à début mars - normalement- et est interdite le reste du temps. Cependant, le renard, lui, du fait de ce statut spécifique, peut être abattu, à peu près n'importe quand, sauf en avril et mai.

Difficile de comprendre un tel acharnement...

Calendrier exceptionnel de chasse du renard roux. Diapositive d'Ariane Ambrosini.
Bien que le renard roux ne soit pas une espèce menacée, on estime le nombre de renards abattus en France entre 700 000 et 1 million par an (déclarés officiellement par le CDCFS, donc des prélèvements d'animaux peuvent aussi être passés sous silence). L'inventaire des différentes techniques de chasse et la forme des différents pièges (qui peuvent parfois mutiler gravement sans tuer) faisaient particulièrement froid dans le dos.

Heureusement, et pour conclure cette session, Ariane Ambrosini a fini sur une note positive en mettant en avant les différentes avancées : la loi biodiversité de 2016, l'article 515-14 du code civil qui définit l'animal comme un être doué de sensibilité, l'interdiction en 2012 des enfumage de terriers et en 2014 des championnats et compétitions de vènerie sous terre (quand on va chercher l'animal dans son terrier, comme je vous le disais précédemment). L'existence d'un tel colloque et les démarches engagées par les associations comme l'ASPAS permettent d'espérer une meilleure cohabitation entre l'Homme et l'animal.

J'ai fini ma visite du colloque en trainant un peu à l'extérieur de l'amphi, le temps de découvrir le travail de plusieurs photographes naturalistes, exhibant leurs meilleurs clichés de renards: Adrien Favre, Maurice Chaterlain, Franco Lumosani.

Stand d'Adrien Fabre
Stand de Maurice Chatelain
Un joli renard dans un paysage hivernal, de Maurice Chatelain
Les très jolis clichés de Franco Lumosani
A cela, s'ajoutaient le stand de One Voice, une association de protection animale qui se définit comme militante et non violente, celui du Collectif Renard Grand Est, et un autre stand présentant les ouvrages de Marc Giraud et les différentes publications de l'ASPAS en accès gratuit comme le magazine "Goupil". Et une exposition sous la forme de panneaux pédagogiques qui présentaient le renard et les différentes problématiques qui tournent autour.

Les stands de One Voice et de l'ASPAS
L'exposition renard dans le hall
Expo toujours
Petits faits amusants appris lors de cette exposition, histoire de finir sur une touche didactique : 
- Un renard est capable de capturer 4 vers de terre à la minute ! Il peut donc satisfaire ses besoins nutritionnels quotidiens en une heure environ
- Des analyses ADN ont démontré que des petits renards d'une même portée ont souvent des pères différents ! Ce mécanisme augmente la diversité génétique dans une population. Ce phénomène est appelé polygynandrie. 

Plutôt cool, donc.

Pour conclure, un grand bravo aux organisateurs, et notamment à l'ASPAS, qui a su informer et sensibiliser par une action pédagogique et scientifique de qualité. Je les remercie pour leur discours juste et argumenté, qui sert bien plus la cause du renard que les interventions parfois plus militantes et agressives que réfléchies, qui ont heureusement été rares et uniquement limitées à quelques questions déplacées du public, rapidement recadrées par Marc Giraud.

J'espère que pareille initiative pourra revoir le jour, pour notamment parler du blaireau, un animal chassé lui aussi et fort peu connu, ou encore de la famille des corbeaux, qui souffrent au même titre que le renard, d'une injuste mauvaise réputation et d'une chasse cruelle et intensive.

Le chemin reste long et semé d'embûches mais un avenir différent existe pour tous ces animaux essentiels au bon fonctionnement de notre écosystème.

Alors, gloire aux renards et longue vie au Fantastic Mister Fox !





Pour aller plus loin:


- La bande-dessinée inédite "Sauvez les renards" par Krapo réalisée spécialement pour l'événement

- Un article publié dans Sciences et Vie présentant la conférence. 

- Un compte-rendu illustré de la journée du Samedi par Agathe du blog Fetish cat

- Le site de l'ONCFS sur les petits carnivores avec tout un tas de recherches actuellement menées.

- La thèse de Nicolas Lieury, pour mieux comprendre les dynamiques de mouvement de population des renards et leur lien avec la régulation et la conservation. 

- Un dossier sur la biodiversité à Paris, par la mairie de Paris. 


- Un article scientifique de 1985 de J. Blancou, qui fait un état des lieux des traitement anti-rabiques en Europe 

- Un article de blog dissertant du statut de nuisible, rédigé par Patrice Lucchetta, Médiateur scientifique aux Jardins du Muséum à Borderouge



- Et n'oubliez pas de cliquer sur tous les liens disséminés le long de l'article (qui apparaissent en turquoise), ils vous redirigeront vers quantité de sites et de documents intéressants !

Babillages:

  1. Merci pour ce compte-rendu intéressant, surtout que je n'ai pas pu venir le vendredi. Mais je suis quand même venue le samedi et j'ai fait un compte-rendu. Je donne le lien au cas où si cela vous intéresse :
    http://fetish-cat.over-blog.com/2017/06/colloque-sur-le-renard-le-compte-rendu.html

    Bonne journée !

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    1. Bonjour Agathe, et merci pour le lien ! En plus, ça complète ce que j'ai pu voir du vendredi. Et tes illustrations sont très chouettes. Merci de la découverte ! J'ai rajouté l'adresse internet de ton blog et le lien vers ton compte-rendu dans les liens complémentaires de mon article, si tu n'y vois pas d'inconvénients. Bonne journée et à bientôt !

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  2. Merci pour toutes ces informations sur notre ami Renard!
    Longue vie à lui! Je l'estime beaucoup et j'observe une famille en ce moment (je suis photographe naturaliste autodidacte;) ).

    Belle journée!
    Lo

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    1. Avec plaisir, ravie que l'article t'ait plu !
      Je suis allée voir ton blog, de très jolis clichés en effet ! :)
      Bonne continuation et bonne journée !

      Agatha

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