Crânes de piafs ? Les oiseaux aussi en ont dans le ciboulot !

4 juillet 2018

FIESTA ! 

Rappelez-vous, il y a un peu plus d'un an sortait "La science à contrepied", le livre écrit à plusieurs avec les membres du Café des sciences et publié aux éditions Belin (achetez-le !). Afin de continuer à faire vivre le livre, et l'aider à trouver toujours de nouveaux lecteurs ravis (oui, vous !), je me suis enfin décidée à vous publier les deux articles auxquels j'ai participé.
Voici donc, pour commencer, le 1er article dédié à l'intelligence des oiseaux, mon sujet de prédilection !
C'est parti !


« Avoir une cervelle d’oiseau », « répéter comme un perroquet », « bécasse », « tête de linotte », « faire l’autruche », « être le dindon de la farce », « se faire pigeonner »... Notre belle langue française regorge d’expressions et d’invectives avec des oiseaux ; mais il faut bien l’avouer, elles sont rarement flatteuses ! Le piaf sert à désigner quelqu’un d’inattentif, d’oublieux, qui ne réfléchit pas beaucoup et se fait facilement avoir. Charmant !

Qu’en est-il en réalité ? Les oiseaux auraient-ils sacrifié leur cervelle pour s’élancer dans les airs ? Troqué leurs neurones pour des ailes, comme l’imprudent Icare? Que nenni ! Et vous pourriez bien être surpris à la lecture des pages qui suivent !

Mais d’abord, qui sont vraiment les oiseaux ? Ils pondent des œufs, volent (pas tous : parlez-en aux manchots, à l’autruche ou encore au kiwi), sont dotés d’un bec et surtout - et c’est là leur originalité - ils ont le corps recouvert de plumes. 
Cette innovation révolutionnaire est apparue il y a plus de 150 millions d’année, à l’époque où les dinosaures peuplaient notre planète. On ne le sait que depuis les années 1990, mais certains dinos avaient bel et bien le corps recouverts de plumes, comme le fameux Archeopteryx, ou encore les féroces vélociraptors rendus célèbres par Spielberg, en version glabre, dans son « Jurassic park ». Ce cousinage rapproché avec les dinosaures et les reptiles, perçus injustement comme patauds, diminue à tort l’idée que nous nous faisons de leur intelligence. Il est donc plus que temps de réhabiliter nos cousins emplumés !

Les pigeons, des physionomistes hors pairs


Commençons par ceux qui ont la plus mauvaise des réputations : les pigeons bisets (Colomba livia). Vous savez, ces pigeons de ville qui déambulent sur les trottoirs comme des passants pressés, la tête hochant de manière comique ? Ceux que vous ne pouvez plus voir en peinture et qui décorent de leurs déjections les statues, et les monuments urbains avec une assiduité remarquable ? Vous les trouvez bêtas, n’est-ce pas ? Eh bien, figurez-vous qu’ils savent faire plein de choses !

D’abord, ce sont d’excellents physionomistes. Eh oui : le pigeon vous a à l’œil. Des chercheurs (de mon ancien labo à Nanterre !) ont montré que les pigeons étaient capables de reconnaître les humains, et ce de manière assez fine. 

L’expérience est la suivante. Deux expérimentateurs donnent des graines aux pigeons : un « gentil » à blouse blanche qui reste sans bouger, et un « méchant » à blouse rouge qui les chasse toutes les minutes en bougeant les bras. Très vite, les pigeons choisissent le gentil nourrisseur immobile. Et quand, lors du test, le méchant devient gentil et arrête de les effrayer, les pigeons préfèrent tout de même l’éviter. Pour compliquer la tâche, le gentil et le méchant échangent leurs blouses. Et là, surprise ! Les pigeons ne s’en laissent pas conter : ils continuent à se diriger vers le gentil expérimentateur. Ils sont donc bien capables de reconnaître quelqu’un à ses vêtements, mais aussi à sa physionomie, à sa posture et à son visage. Ce sont des indices beaucoup plus fins pour identifier un individu, surtout d’une autre espèce que la sienne. Essayez donc de distinguer un pigeon à sa tête uniquement, au milieu d’un groupe d’autres pigeons de la même couleur, pour voir !


On voit sur l'illustration  que le nourrisseur est très hostile, en plus d'avoir une coupe de cheveux discutable et un goût particulier pour les blouses oranges: il bouge les bras en tous sens. 

Leur autre talent caché est celui de distinguer des objets, de les identifier, de les regrouper et ainsi de former des catégories. Un processus complexe, bien éloigné de leurs activités quotidiennes habituelles. Il a été prouvé en 1995 que les pigeons sont capables de différencier les œuvres de peintres impressionnistes (comme Claude Monet) de celles des peintres cubistes (comme Pablo Picasso). Et c’est très sérieux ! Des pigeons ont été entraînés à picorer un écran sur lequel apparaissaient deux images de tableaux : un de Picasso, l’autre de Monet. Un groupe d’oiseaux était récompensé avec une friandise quand il choisissait Picasso, l’autre quand il choisissait Monet.
Une fois que les animaux sélectionnaient toujours le bon peintre lors de l’entrainement, on leur présentait deux tableaux qu’ils n’avaient jamais vus. Ils devaient alors en choisir un des deux. Il s’avère que les oiseaux choisissaient majoritairement (à plus de 90%) les peintures de l’artiste auquel ils avaient été habitués ! Ils sont donc capables de « classer » de nouvelles images, de les identifier et de les attribuer (ou non) au peintre auquel ils ont été familiarisés. Bref, ils sont bel et bien capables de former des catégories.


J'ai TOTALEMENT choisi le tableau "La pie" de Monet de manière aléatoire pour illustrer cet article. LE HASARD j'vous dis.

Mais l’expérience ne s’arrêtait pas là. Les chercheurs ont compliqué la chose en leur présentant des tableaux d’autres impressionnistes (Cézanne et Renoir) et d’autres cubistes (Braque et Matisse). Les oiseaux continuaient à marquer leur préférence pour le courant artistique auquel ils avaient été sensibilisés. Ils savaient distinguer les formes abstraites, franches et colorées des cubistes, des portraits et des paysages impressionnistes aux touches plus douces. Les experts ont probablement du souci à se faire !
Peintres cubistes et impressionnistes n'ont plus de secrets pour moi ! 

En septembre 2016, une autre équipe a tenté de déterminer si les pigeons étaient bons en orthographe. Pendant 18 mois, nos volatiles ont été entraînés à choisir des mots de 4 lettres sur un écran tactile : l’un qui existe (« très » par exemple), et l’autre, assemblé avec les mêmes lettres mais qui n’a aucun sens (comme « tsèr »). Chaque oiseau était récompensé avec une friandise lorsqu’il sélectionnait le mot existant ou l’étoile « joker » qui apparaissait à côté du non-mot. On leur présentait ensuite de nouveaux assemblages de 4 autres lettres, aléatoirement mots et non-mots, afin de vérifier si les pigeons continuaient à les différencier. Et il s’avère que oui ! Même s’ils discriminent moins de mots que les babouins (le meilleur élève pigeons en mémorise tout de même  58 différents dans cette expérience !), les pigeons différencient le plus souvent les mots des non-mots, très probablement en repérant les associations de lettres les plus fréquentes. Finalement, pigeonner un pigeon n’est pas chose si aisée !


Les poules, des arithméticiennes méconnues


Un autre oiseau partage depuis longtemps notre quotidien et a rarement été loué pour ses traits d’esprit : la poule ! Figurez-vous que les cocottes, malgré leur petit cerveau, en ont aussi dans la caboche. Elles peuvent compter jusqu’à 5 par exemple et ce, dès leur plus jeune âge.

Vous le savez peut-être : chez les oiseaux comme la poule, l’oisillon va identifier comme être référentiel le premier être mobile qu’il voit en sortant de l’œuf. Ce phénomène est appelé l’empreinte. L’oisillon suit et imite les comportements de l’être vivant qu’il verra en premier, comme si c’était sa mère. Cette période sensible est cruciale pour l’apprentissage et les comportements futurs de l’oisillon et ce pour le restant de sa vie. Dès le milieu des années 1930, l’éthologue autrichien Konrad Lorenz a beaucoup travaillé sur le sujet (on en reparlera !). Les images ont fait le tour du monde : Lorenz prenant son bain dans le lac, sirotant son café ou baguenaudant dans la campagne, toujours suivi par une nichée de bébés oies cendrées surexcités ! À la sortie de l’œuf, l’oisillon est également sensible (dans une moindre mesure) aux objets inanimés.

Dans une expérience menée par une équipe italienne, des poussins âgés de 3 jours ont été élevés en présence de capsules en plastique ou de pièces en bois lors de la phase d’empreinte. Les oiseaux étaient ensuite capables,placés devant deux tas de ces objets,de sélectionner la quantité la plus importante (l'imprégnation les rendant "importants" à leurs yeux). Et ce même lorsque les quantités présentées sont très proches (3 contre 2 par exemple).


Maman ! 
Et ce n’est pas tout ! Dans une seconde phase de l’expérience, on montre aux poussins deux groupes d’un même objet en quantités différentes, que l’on cache ensuite derrière deux écrans en sa présence. Ceci fait, on déplace certains objets d’un écran à l’autre, toujours devant eux, changeant ainsi les quantités que les poussins ont pu observer au début de l’expérience. On laisse alors la possibilité aux oisillons de se diriger vers un des deux écrans, et ainsi, d’effectuer un choix.. Eh bien, malgré ces changements, les poussins continuent à sélectionner la plus grande quantité proposée ! Ainsi, il semblerait que dès la naissance, les poussins possèdent une représentation mentale des nombres mais aussi des objets physiques, une connaissance que nous autres humains ne développons pas avant plusieurs années d’apprentissage laborieux.

Vous êtes impressionnés ? Le plus sensationnel reste à venir. Car les vraies superstars de la cognition aviaire sont ailleurs. Ces surdoués ont cependant un truc en commun. Ils appartiennent tous à deux familles d’oiseaux particulières : celle des perroquets (les psittacidés) et celle des corbeaux (corvidés), qui accumulent les qualités et les performances éblouissantes !

Corbeaux et perroquets : les raisons du succès


Ces piafs-là, comparativement à leur taille, ont un cerveau de la taille de celui d’un chimpanzé, ce qui est plutôt balèze. En outre ils ont la particularité, contrairement à nos cousins primates, d’être monogames, c’est-à-dire de former des couples à vie avec leurs partenaires. Or les relations longues demandent pas mal d’efforts, car l’animal doit anticiper les besoins de son partenaire, y répondre, garder en mémoire des actions passées et coopérer de manière efficace s’il veut obtenir de beaux bébés. Un sacré boulot donc ! Ainsi, la monogamie sur le long terme pourrait être à l’origine des facultés hors normes de ces petits génies ailés, car elle demande des adaptations coûteuses 
En effet, chez les oiseaux, la monogamie sous-tend que les partenaires restent fidèles et s’investissent tous deux dans la construction du nid et l’élevage des petits. Ils maximisent ainsi leurs chances d’amener leurs petits jusqu’à l’âge adulte, mais en produisent moins que des espèces polygames qui multiplient les partenaires et les potentialités d’avoir plus de descendants. Ce choix représente donc un coût. La vie sociale aurait un effet similaire, car l’enfer, c’est les autres ! 

En effet, en société, il faut garder un œil sur les autres membres du groupe pour sortir son épingle du jeu et éviter les impairs. C’est du moins ce que défend l’anthropologue britannique Robin Dunbar via son hypothèse du « cerveau social » (1998). Il argumente que la vie en groupe nécessite le développement de compétences multiples ; et plus le groupe est grand, plus les capacités cognitives requises sont importantes !

Or corbeaux et perroquets ont une vie sociale très riche, alliant couple à long terme et vie de groupe, et tous les compromis qui vont avec. On a notamment observé que les grands corbeaux pratiquent la réconciliation après un conflit avec leurs copains, comme les grands singes. De plus ils vivent très vieux, ce qui implique là encore, quand on est un animal social, de garder traces d’interactions avec d’autres individus sur le très long terme pour rester dans la course. Les grands perroquets pour la majorité d’entre eux, peuvent atteindre 60 ans (cacatoès, aras, gris du Gabon) De leur côté, les grands corbeaux (Corvus corax) et même les poids plumes font de vieux os, comme les corneilles noires (Corvus corone), les geais (Garrulus glandarius), les choucas (Corvus monedula) et les pies (Pica pica) qui atteignent aisément les 15-20 ans dans la nature (plus en captivité, bien entendu).

Alliant tous ces atouts, corbeaux et perroquets repoussent toutes les limites. Mémoire, anticipation, mise à la place de l’autre, empathie, utilisation d’outils, résolution de problème… ces Einstein à plumes savent tout faire ou presque. Une revue de leurs exploits s’impose.

Alex, un pionnier beau-parleur


Celui qui a été le premier à sensibiliser le monde aux prouesses des oiseaux est sans nul doute Alex, le perroquet gris du Gabon (Psittacus erithacus) de la chercheuse américaine Irene Pepperberg. Acheté en animalerie en 1977 un peu par hasard, puis entrainé intensivement tous les jours, Alex s’est rapidement révélé être un génie. Aucun autre perroquet de laboratoire ne lui est arrivé à la cheville jusqu’à présent ! Alex parlait très bien et comprenait ce qu’il disait. Il savait nommer 50 objets différents, 7 couleurs, 5 formes, les nombres jusqu’à 6 et prononçait des phrases fonctionnelles comme « je veux le cube », ou « je veux aller sur la chaise » pour obtenir ce qu’il souhaitait. Il combinait tous ces mots pour désigner jusqu’à 100 objets différents. Il a même été capable de comprendre les concepts d’ « identique » et de « différent », tout comme de « plus grand » et de « plus petit ». Vous trouverez de nombreuses vidéos sur internet mettant en scène les prouesses d’Alex (voir un exemple ci-dessous) : l’expérimentateur lui montre par exemple un plateau avec plusieurs objets de couleurs/formes/couleurs différentes, puis lui demande lesquels sont identiques, ou encore quel objet est présent en plus grande quantité. Si aucun des objets n’était identique, par exemple, Alex était capable de dire « aucun ».



Encore plus impressionnant : il pouvait additionner (jusqu’à 6 objets maximum). Si on lui présentait des noix cachées sous deux gobelets plastiques opaques et qu’on lui demandait le total de noix sous ces deux gobelets, il donnait le bon résultat. Et il comprenait le concept du zéro, une notion on ne peut plus abstraite .

"C'est un bon perroquet ça !"


Théorie de l’esprit et empathie : de l’importance de l’autre


Les découvertes de Pepperberg ont été à l’origine d’un regain d’intérêt pour nos amis oiseaux. En conséquence, plusieurs équipes de par le monde se sont mises à les étudier intensivement dans le courant des années 1990. Nathan Emery et Nicola Clayton, à Cambridge en Angleterre, s’intéressèrent notamment aux corvidés et à la « théorie de l’esprit » (j’y reviens, ne vous en faites pas). C’est à eux que l’on doit le surnom affectueux de « grands singes à plumes » pour désigner les oiseaux, surnom qui rend ainsi hommage à leur intelligence remarquable.

La famille des corbeaux ne comprend pas que de sombres individus comme la corneille ou le corbeau : elle accueille aussi la pie chatoyante et tout un tas de geais colorés, et se distingue par le goût qu’ont ses membres à cacher leur nourriture pour la déguster plus tard. Or, il a été observé que certains de ces oiseaux choisissent leur cachette avec grand soin. Et s’ils ont été observés par un autre membre du groupe pendant qu’ils planquaient leur butin, ils ont alors tendance à changer de cachette pour prévenir toute tentative de vol. Le corbeau est prévoyant et s’adapte selon son public ! En cachant à nouveau sa nourriture parce qu’il sait qu’il a été observé, le corbac nous laisse penser qu’il est capable d’inférer ce que l’indiscret a dans la tête. À savoir : lui piquer son bien dès qu’il regardera ailleurs ! Jusqu’à tout récemment, on pensait que seuls les humains et les primates en étaient capables. C’est ce que l’on appelle la Théorie de l’esprit. Cette faculté fascinante permet de se mettre à la place de l’autre, deviner ce qu’il peut voir, entendre, mais aussi ce qu’il souhaite ou ce qu’il sait. Une capacité que l’on pense intimement liée à l’empathie, qui est la faculté d’identifier et de partager les émotions de l’autre. Toutes deux, théorie de l’esprit et empathie, jouent un rôle pivot dans le fondement même de nos sociétés humaines.

Mais revenons à nos corbeaux

Ce que l’équipe de Cambridge a montré avec les geais buissonniers (de jolis geais bleus originaires des États-Unis, Aphelocoma californica) va encore plus loin. Au cours d’une de leurs expériences, un geai a accès à un bac à glaçons rempli de sable, et on lui donne de la nourriture à dissimuler à l’intérieur. De l’autre côté d’une vitre, on place un autre oiseau comme observateur. Puis on laisse la possibilité à l’oiseau cachottier de planquer ses affaires ailleurs, une fois revenu tout seul dans le sas expérimental. Sans surprise, quand il a été observé, l’oiseau change sa nourriture de cachette. Pas fou le geai !

"Hey ho monsieur le voyeur ! Va voir ailleurs si j'y suis !"

 Mais ce qui est encore plus subtil, c’est que le comportement du geai ne sera pas le même selon ses expériences passées. Ainsi, les geais qui ont déjà piqué les récompenses de leurs petits camarades changent systématiquement leur nourriture de cachette quand ils sont observés. En revanche, les oiseaux qui n’ont jamais rien volé ne la changent pas après avoir été observés par un congénère. Ce qui laisse supposer qu’un oiseau ayant déjà volé par le passé est capable d’anticiper le comportement de l’observateur en fonction de son propre vécu : «  Puisque moi, j’ai déjà volé quand j’en ai eu l’occasion, ce voyeur pourrait en faire tout autant... et j’ai tout intérêt à planquer mes réserves ailleurs ». Brillant !

Miroir, Miroir...


Depuis les années 1970, une autre compétence suscite beaucoup d’intérêt de la part de la communauté scientifique : se reconnaître dans le miroir. En effet cette compétence est fortement liée aux capacités d’empathie, comme on a pu l’observer chez de jeunes enfants. Ceux capables de se reconnaître dans le miroir portaient secours à un expérimentateur qui mimait la tristesse et la détresse. La distinction entre « moi » et l’autre se doit donc d’être claire. Chez nous, cet apprentissage prend entre 2 et 3 ans, c’est dire !

Pour évaluer la compétence chez les animaux, on emploie un test assez simple, appelé « test de la tache ». D’abord réalisé chez les primates, nos plus proches cousins, le test a ensuite été étendu à de nombreuses espèces animales. Chimpanzés, orangs-outangs, bonobos, éléphants, dauphins l’ont passé avec succès ; mais une seule et unique espèce d’oiseau a réussi le test jusqu’à présent. Et je vous le donne en mille : il s’agit de la pie bavarde (Pica pica), elle aussi membre de la famille des corvidés.

Le test se déroule de la façon suivante : on habitue chaque oiseau au miroir. On place ensuite, sans qu’ils ne s’en rendent compte, une tache sur leur tête ou sur leur cou (peinture, gommette, etc.), à un endroit qui n’est visible que s’ils se visualisent dans le miroir. Puis les oiseaux sont placés devant la surface réfléchissante. 

S’ils gratouillent directement le miroir, c’est qu’ils pensent que la tache se trouve sur ce dernier, et l’oiseau échoue au test. 
En revanche, s’ils se grattent à l’endroit de la tache une fois placés devant le miroir, alors c’est gagné ! Bien sûr, pour être certain que l’oiseau ne sent pas la tache sans la voir, on réitère l’expérience en plaçant les oiseaux marqués devant un carton (dans lequel ils ne peuvent pas se voir). 
S’ils se grattent lorsqu’ils sont face au carton, c’est qu’ils sentent la tache sans la voir, et le test n’est pas concluant. Dans ce test, où les pies étaient présentées face au miroir, 2 pies sur 5 se sont bel et bien affairées pour enlever la marque dans leur cou en présence de miroir, ce qui va dans le sens d’une reconnaissance de soi. Voici, ci-dessous une des vidéos de manip montrant la pie Gerti, en train de se gratter face au miroir.



Depuis lors, la communauté scientifique s’acharne à tester d’autres espèces d’oiseaux (choucas, corbeaux, perroquets…) pour reproduire le résultat, sans succès pour le moment. Le problème principal posé par ce test est que l’animal ne ressentira pas forcément le besoin urgent de retirer la tache, même s’il comprend que c’est son reflet qu’il voit dans le miroir. Il peut juste s’en moquer complètement, ce qui ne facilite pas l’interprétation des expérimentateurs... Mais le fait est : les seules à avoir réussi jusqu’à présent, ce sont les pies, et cela méritait bien un coup de chapeau !


Mieux que des couteaux suisses !


Besoin d’un dernier argument pour être pleinement convaincus de l’intelligence des oiseaux ? Les corbeaux et les perroquets sont les seuls oiseaux connus capables de fabriquer et utiliser des outils. Pendant longtemps, cette compétence fut considérée comme le propre de l’Homme. Mais en 1971, la primatologue britannique Jane Goodall a prouvé le contraire : elle a observé des chimpanzés pêcher des termites dans les cavités de leur termitière en utilisant des bâtons. Et paf ! Une fois encore, le fossé entre l’animal et l’Homme s’avérait moins large que prévu.

Et en 1996, ô surprise : on a découvert que les corneilles de Nouvelle-Calédonie (Corvus moneduloides) savaient le faire aussi ! Mieux, on a même observé qu’elles gardaient leurs meilleurs outils pour les réutiliser plus tard, ce qui démontre une planification future. En outre, les corneilles apprennent à leurs petits comment les fabriquer. On parle alors de transmission culturelle, un phénomène rarissime chez les animaux non-humains, seulement observé chez certains grands singes. Pour preuve, les outils fabriqués par ces corneilles calédoniennes n’ont pas la même forme selon l’endroit de l’île où la population vit (selon leurs « traditions », en somme). Leur fabrication dépend aussi de l’apprentissage transmis par les parents. Les jeunes oiseaux apprennent spontanément à fabriquer les outils (c’est inscrit dans leurs gènes), mais sans éducation de leurs parents, ils ne seront pas capables de créer toutes les formes possibles de l’outil. Il y aurait donc une part innée dans leur comportement - ils construisent spontanément les outils - mais aussi une part acquise - l’enseignement des parents leur permet de varier les formes d’outils.


Cacatoès de Goffin et corneilles de Nouvelle-Calédonie, unis par l'outil !

Malgré tout ce que vous avez toujours pensé savoir, il semblerait bien que les oiseaux soient loin d’être stupides. Même ceux qui souffrent d’une bien injuste réputation de bêtas. Poules, pigeons, corbeaux, pie, perroquets…Tous ces oiseaux rivalisent d’intelligence et d’astuces pour tirer leur épingle du jeu. 
Et l’on est encore bien loin de tout connaître sur leurs capacités réelles ! Après tout, peut-être que le film Les Oiseaux d’Hitchcock n’est pas si fantaisiste, et que les piafs complotent pour dominer le monde... 

En tout cas, maintenant, vous y réfléchirez à deux fois avant de traiter quelqu’un de « cervelle d’oiseau » !


Pour aller plus loin:

-Le livre "l'étonnante intelligence des oiseaux" par Nathan Emery, publié en français chez Quae. Une merveille ! 

-La thèse d'Ahmed Belguermi, qui bossait sur les pigeons au labo de Nanterre

- Un article de l'excellent Pierre Barthelemy sur Passeur de science qui détaille la manip des pigeons qui apprennent l’orthographe

- Une série de vidéos de qualité sur l'intelligence des poules qui évoque pas mal de manip sur leur aptitude à compter par la chaîne Cervelle d'oiseau !

- Un article de futura-science qui reprend un papier de 2016 démontrant que les oiseaux, à taille égale, ont plus de neurones que les mammifères (et sont cablés autrement).

- Une vidéo de corneilles calédoniennes qui se fabriquent et utilisent des outils

-LA vidéo qui a laissé le monde sur les fesses: la corneille 007 (comme James Bond !) résout une série de problèmes successifs pour la vidéo de la BBC.

- Figaro, le cacatoès de Goffin à avoir accidentellement montré qu'il pouvait se faire un outils! 

- Une autre vidéo sur la suite des expériences avec les cacatoès par Science et Avenir.

- Toutes les références bibliographiques utilisées pour écrire cet article (faisant références aux études originales en anglais) sont disponibles dans le livre ! Les voici pour les plus anglophones et les plus curieux d'entre vous !

Dinos & oiseaux



Alan H. Turner, Peter J. Makovicky, Mark A. Norell. 2007. Science. « Feather Quill Knobs in the Dinosaur Velociraptor », 317, n°5845, p1721.


Jane Van Lawick-Goodall, 1971, Advances in the Study of Behavior, « Tool-using in primates and other vertebrates », 3, p.195-249.




Pigeons



Ahmed Belguermi, Dalila Bovet, Anouck Pacal, Anne-Caroline Prévot-Julliard, Michel Saint Jalme, Lauriane Rat-Fischer, Gérard Leboucher, 2011, Animal Cognition, « Pigeons discriminate between human feeders », 14, n°6, p.909-914.


Damian Scarf, Karoline Boy, Anelisie Uber Reinert, Jack Devine, Onur Güntürkün, Michael Colombo, 2016, Proceedings of the National Academy of sciences of the united states of America, « Orthographic processing in pigeons (Columba livia) », 113, n°40, p. 11272-11276.

Shigeru Watanabe, Junko Sakamoto, Masumi Wakita, 1995, Journal of the Experimental Analysis of Behavior, « Pigeons' discrimination of paintings by Monet and Picasso », 63, n°2, p.165-174.

Poules

Rosa Rugani, Laura Fontanari, Eleonora Simoni, Lucia Regolin, Giorgio Vallortigara, 2009, Proceedings of the royal Society B, «  Arithmetic in newborn chicks », 276, n°1666, p. 2451-2460.

Alex, le perroquet

Irene M. Pepperberg, 2006, Animal Cognition, « Grey parrot numerical competence : a review », 9, n°4, p. 377-391.

Corbeaux & geais 

Thomas Bugnyar, Kurt Kotrschal, 2002, Animal behaviour, « Observational learning and the raiding of food caches in ravens, Corvus corax : Is it « tactical deception » ? », 64, n°2, p.185-195.

Nicola S.Clayton, Joanna M. Dally, Nathan J. Emery, 2007, Philosophical transactions of the royal society B, « Social cognition by food-caching corvids. The western scrub-jay as a natural psychologist », 362, p.507-522.

Nathan J. Emery, Amanda M. Seed, Auguste M. P. von Bayern, Nicola S. Clayton, 2007, Philosophical transactions of the Royal Society B, « Cognitive adaptations of social bonding in birds », 362, n°1480, p.489-505.

Orlaith N. Fraser, Thomas Bugnyar, 2011, Plos One, « Ravens reconcile after aggressive conflicts with valuable partners », 6, n°3, e18118.

Théorie de l'esprit, cerveau social & empathie 

Frans B. de Waal, 2008, Annual Review of Psychology, « Putting the altruism back into empathy : the evolution of empathy », 59, p.279-300.

Robin I.M. Dunbar. 1998, Evolutionary Anthropology, « The social brain hypothesis », 6, n°5, p.178-190. 

Miroir

Doris Bischof-Köhler, 1991, « The development of empathy in infants » In Infant Development : Perspectives from German speaking countries, M.E. Lamb et H. Keller Eds, Hillsdale, Lawrence Erlbaum : 245-273.

Thomas Suddendorf, David L. Butler, 2013, Trends in Cognitive science, « The nature of visual self-recognition », 17, n°3, p. 121-127.

Helmut Prior, Ariane Schwarz, Onur Güntürkün, 2008, Plos Biology, « Mirror-induced behavior in the macpie (Pica pica) : evidence of self-recognition », 6, n°8, e202.

Outils
Gavin R. Hunt, Russel D. Gray, 2003, Proceedings of Royal society B, « Diversification and cumulative evolution in New caledonian crow tool manufacture », 270, n°1517, p. 867-874.

Babillages:

  1. Très sympathique, l'on en redemande, hormis, faudrait-il déjà que la science soit une science. Car, du coup, cela nous éviterait ce déluge de cafouillages anthropomorphes. Tous ces attributs avec nous comme modèle ça sent la Démens racornis à son dernier degré. L'arnaque subtil du verbe. Un simple respect noble et éthique du monde du vivant nous éviterait d'écrire des tonnes de conneries dans l'espoir d'apporter quelque romanesque délire à notre niaiserie affamée...

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    1. Oui l'anthropomorphisme est encore excessivement présent et a des conséquences parfois néfastes sur le bien-être même des animaux. Il y a encore beaucoup à faire en la matière ! Merci d'avoir lu et pris le temps de commenter !

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  2. C'est extrêmement intéressant votre article concernant les oiseaux, particulièrement vrai concernant l'intelligence des pigeons !

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    1. Merci beaucoup ! Effectivement ce sont des oiseaux très intéressant, notamment du fait qu'ils arrivent à si bien vivre dans notre univers urbain, et à s'y être très bien adapté ! J'aime bien redorer leur blason.

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  3. Cest magnifique et incroyable tout ça

    Bien joué pour cet article

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