La cryptozoologie.
Qu’est-ce donc que cela ? Le terme vient du grec, forcément, de « kryptos »,
cachés, « zoon » animal et « logos », discours, science. La cryptozoologie est un néologisme attribué
au naturaliste Ivan Sanderson, mais a été popularisé dans les années 50 par celui que beaucoup considèrent comme le père de la cryptozoologie, le zoologue belge Bernard
Heuvelmans. La définition qu’il en donne est la suivante : « l’étude
scientifique des animaux cachés, c’est-à-dire des formes animales encore
inconnues au sujet desquelles on possède seulement des preuves testimoniales et
circonstancielles, ou des preuves matérielles jugées insuffisantes par
certains ».
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Portrait de Bernard Heuvelmans |
Dans les faits, comment ça se passe ? L’approche du cryptozoologue
consiste à collecter des témoignages, des indices sur l’existence d’un animal
encore inconnu des scientifiques, pour le décrire et tenter de lui rendre la
place qui serait sienne dans la grande classification du vivant ! Avec un
nom latin ! Autre chose, les cryptozoologues recherchent surtout des
animaux inconnus de grande taille, des bestioles qui claquent un peu, mais en
cela leur démarche ne s’éloigne pas tant des scientifiques qui se font
concurrence pour être les premiers à publier dans un journal prestigieux comme
Science ou Nature. Non, la vraie limite de la cryptozoologie, et qui fait
grincer les dents de nombreux biologistes, c’est que pour confirmer
scientifiquement l’existence d’un animal, il faut un individu, vivant ou mort,
que l’on peut étudier à loisir pour le placer effectivement dans l’arbre du
vivant, étape dont ne s’encombre pas tous les cryptozoologues.
Et oui, vous l’aurez compris, les cryptozoologues traquent
les animaux insaisissables qui peuplent notre folklore : Yéti, monstre du
Loch Ness, Mokele Mbembe (un dinosaure sauropode comme le diplodocus ou le
brachiosaure qui hanterait les marais du Cameroun), grand serpent des mers,
poulpes monstrueux et tant d’autre. Supercherie, pseudo-sciences ? Peut
être. Mais un peu de fantaisie ne peut pas faire de mal, tant que l’on garde un
scepticisme de bon aloi et un peu de recul amusé.
Ce que je trouvais intéressant et qui m’a poussé à faire
cette chronique, c’est la limite parfois très floue entre le fantasme halluciné
et la réalité scientifique. Je m’explique !
Il faut savoir que de très sérieux chercheurs étaient des
cryptozoologues avant l’heure, à une époque où les données sur la faune étaient
encore…disons…fragmentaires. Des naturalistes décrivaient les mœurs de la
licorne ou de la manticore, cette bête chimère entre le lion et l’homme dans
les bestiaires médiévaux. Hérodote évoquait le mode de vie des griffons. Pierre
Denys de Montfort évoque dans son ouvrage d’histoire naturelle, le Kraken,
monstre marin gigantesque aux effrayants tentacules. Et Heuvelmans, lui-même, a
fait une thèse sur un animal curieux mais bien réel, l’oryctérope du Cap, qui
se nourrit de termites qu’il déniche en creusant le sol.
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Un griffon représenté sur des mosaïques romaines antiques, une représentation du kraken par Pierre Denys de Montfort et un oryctérope, en chair et en os ! |
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"Chuuuuuut !" |
Souvent, les cryptozoologues cherchent à rapprocher ces
animaux fantasmagoriques d’ espèces fossiles, qui auraient pu survivre jusqu’à
nos jours, comme Nessie que l’on a pensé être un pleiosaure, un reptile
aquatique contemporain des dinosaures ou encore le yéti qui pourrait être un
Gigantopithèque, un singe de plus de 3 mètres de haut qui a effectivement vécu il y a
plusieurs centaines de milliers d’années. Mais, vous vous en doutez, cette
démarche est rarement couronnée de succès !
… À quelques rares exceptions près. On peut évoquer le cas du cœlacanthe, ce curieux poisson à l’allure préhistorique que les européens n’ont découvert qu’en 1938, un peu par accident et en péchant un spécimen au large des Comores et dont une deuxième espèce a été trouvée en Indonésie en 1999. Pendant longtemps, les occidentaux ne connaissaient que des ancêtres fossiles de cet animal alors que les pêcheurs locaux, eux, en avaient déjà vu, bien que ces animaux vivent en eaux très profondes.
Il est arrivé une histoire un peu similaire au takahé, une espèce de poule d’eau géante au
bec rouge et aux plumes violettes, qui ne vole pas. On en connaissait des
fossiles là aussi, quelques oiseaux bien vivants furent observés en Nouvelle Zélande
à la fin du XIXème siècle puis on n’en vit plus aucun pendant deeees décennies.
Et ce n’est qu’en 1948 qu’une population a été retrouvée !
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Le takahé, t'as qu'à voir ! (Photo de Duncan Wright) |
Bien sûr, il y a aussi beaucoup de falsifications et de
témoignages farfelus qui jalonnent l’histoire de la cryptozoologie. Des photos trafiquées
qui ont entretenu le mystère pendant des décennies dans le cas de Nessie, le
monstre marin écossais, des singes grimés pour ressembler au Big foot, des maquettes
qui assemblent de singes et de poissons pour ressembler à des sirènes et tant
d’autre ! Mais parfois, les enquêtes cryptozoologiques ont eu de beaux
succès et continuent encore de faire palpiter le cœur de certains
chercheurs !
Figurez-vous que l’okapi, ce cousin rayé de la girafe qui
vit dans les sombres forêts équatoriales du Congo a été découvert en suivant
cette démarche de la cryptozoologie. L’explorateur Stanley entendit des rumeurs
venant des pygmées qui évoquaient un âne mangeur de feuilles appelé
« atti ». Puis c’est la persévérance de l’administrateur britannique
colonial sir Harry Johnston, qui poursuivi l’enquête, en dénichant des lanières
de peau zébrées du mystérieux animal, puis une peau entière puis des crânes. Le
suspens dure jusqu’en 1901, où le zoologue britannique Lankester déniche bel et
bien un animal vivant et le baptisera Okapia
johnstoni, en hommage à l’enthousiaste gouverneur.
Plus récemment, en 1993, c’est le saola, une petite antilope aux longues cornes effilée qui a été découverte dans les hautes forêts d’altitude entre le Vietnam et la Laos, en suivant la même méthode.
Plus récemment, en 1993, c’est le saola, une petite antilope aux longues cornes effilée qui a été découverte dans les hautes forêts d’altitude entre le Vietnam et la Laos, en suivant la même méthode.
Ces dernières découvertes sont un vigoureux rappel et une
incitation urgente à sauvegarder les fragiles écosystèmes de notre planète, car
sinon, il y a fort à parier que les saolas et les okapis que nous ne
connaissons pas encore, disparaîtront avant même que nous en apprenions l’existence.
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Des saolas sur des timbres du Viet Nam estampillés aux couleurs du WWF et édités en 2000 |
J'espère que cette introduction
à la cryptozoologie vous aura amusé ou intéressé et je conclurais sur les mots
très sages d’Éric Buffetaut, auteur de l’ouvrage « à la recherche des
animaux mystérieux » et chercheur émérite au CNRS :
« Contrairement
à ce que peuvent croire les tenants d’un rationalisme étroit, il n’est pas
interdit d’introduire une part d’imagination, voire de rêve dans la recherche
scientifique. Si le rêve demeure maîtrisé, elle n’en devient que plus
créative. »
Pour aller plus loin:
- Pour écouter l'émission complète dont est issue cette chronique, c'est par ici.
- L'article original (en anglais) sur les poils d'ours/ yéti : Sykes, B. C., Mullis, R. A., Hagenmuller, C., Melton, T. W., & Sartori, M. (2014). Genetic analysis of hair samples attributed to yeti, bigfoot and other anomalous primates. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 281(1789), 20140161. https://doi.org/10.1098/rspb.2014.0161
- L'article original (en anglais) sur les poils d'ours/ yéti : Sykes, B. C., Mullis, R. A., Hagenmuller, C., Melton, T. W., & Sartori, M. (2014). Genetic analysis of hair samples attributed to yeti, bigfoot and other anomalous primates. Proceedings of the Royal Society B: Biological Sciences, 281(1789), 20140161. https://doi.org/10.1098/rspb.2014.0161
- Un article de vulgarisation en français qui reprend les principaux éléments de l'article de Sykes.
- Un second article plus critique, sur ce même travail d'analyse de poils d'ours hybrides.
- Le livre d'Éric Buffetaut: À la recherche des animaux mystérieux, éditions du cavalier bleu.
- Le livre Créatures fantastiques - Deyrolle de Jean-Baptiste de Panafieu et Camille Renversade, éditions Plume de carotte.
Christian Le Noël: africain183@gmail.com : collaborateur et ami (ancien guide de chasse pro de safaris grande chasses) de Bernard Heuvelmans pour l'Afrique centrale, cité dans son livre les fauves encore inconnus d' Afrique,2020 interview sur yootub "projet Christian Le Noël" et sur internet "Christian Le Noël guide chasse". vidéos cryptozoologiques sur les hommes sauvages et velus, ouvrage : "la race oubliée" en occasion
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