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L’expérience du Petit Albert

Comme promis, revoici un extrait de L’éthologie (presque) facile ! qui n’a pas survécu jusqu’à la version finale du livre, par manque d’espace.

Pour vous remettre un peu de contexte, je retrace dans le deuxième chapitre, la naissance de l’éthologie moderne au début du XXème siècle, qui s’est surtout construite par les apports et les affrontements de deux camps. D’un côté, les objectivistes européens, menés par Konrad Lorenz et Niko Tinbergen, qui s’intéressaient essentiellement à l’instinct et aux comportements innés chez les animaux, avec un attrait tout particulier pour les parades et les combats, observés dans le milieu naturel. Et de l’autre, les behavioristes états-uniens, des psychologues qui cherchaient à mieux comprendre le comportement humain en étudiant d’autres animaux (rats, singes, pigeons…), dans des conditions artificielles très contrôlées en laboratoire. Eux, se focalisaient sur l’étude de l’apprentissage, les comportement acquis au cours de la vie de l’individu.

John Broadus Watson, l’un des fondateurs du courant béhavioriste s’est rendu célèbre par une expérience à l’éthique et aux méthodes plus que critiquables : l’expérience du Petit Albert.

Une photo extraite des vidéos réalisées lors de l’expérience. On y voit Rosalie Reyner avec le petit Albert B. sur ses genoux face à un lapin.

 

Quel est le but de Watson ? Tester si les réponses émotionnelles des jeunes humains résultent elles aussi d’associations avec des événements positifs ou négatifs. Le psychologue s’inspire des travaux du physiologiste russe Ivan Pavlov qui a démontré l’existence d’un conditionnement chez les chiens qui peuvent se mettre à saliver, uniquement en entendant le son de la cloche qui précède habituellement leur repas, après qu’on leur ait fait associer le son avec l’arrivée immédiate de bonnes choses à manger. Après une courte phase d’association, il n’y a plus besoin de nourriture pour que le chien se mette à baver d’envie !

La théorie de Watson est que chaque individu est une « page blanche » et que l’on peut créer de toute pièce des phobies grâce au conditionnement, au cours duquel le sujet apprend à associer une expérience à son ressenti.

Pour son expérience, réalisée avec Rosalie Rayner, son assistante rarement créditée qui deviendra son épouse, Watson conditionne le jeune Albert B. (dont le nom a été modifié), alors âgé de 11 mois, à avoir peur d’un rat blanc avec lequel il a pourtant l’habitude de jouer. Au début de l’expérience, on présente le rat à l’enfant comme les autres fois où il jouait avec lui, et au moment où il s’apprête à le toucher, un expérimentateur produit un bruit puissant en tapant une barre de métal avec un marteau. L’enfant, effrayé par le son, montre des réactions de peur (il se cache, gémit, etc). L’expérience où le bruit est associé à la présence du rat est répétée 7 fois avant qu’à la 8e fois, la présence du rat seul ne déclenche le comportement de peur chez le petit garçon. Voici ce qu’on peut lire dans le rapport écrit de l’expérience :

 

Rat seul. Dès l’instant où le rat a été montré, le bébé s’est mis à pleurer. Presque instantanément, il tourna brusquement vers la gauche, tomba, se releva à quatre pattes et commença à s’éloigner ramper si rapidement qu’il fut rattrapé avec difficulté avant d’atteindre le bord du matelas.

John B. Watson, Behaviorism, 1924

 

L’enfant adopte la même réaction de peur et de retrait avec d’autres animaux, comme un lapin, un chien (dans une moindre mesure) ou un manteau de fourrure en peau de phoque pour lesquels il n’avait aucune peur avant que le conditionnement n’ait lieu.

Notez cependant que la méthodologie de l’expérience est très discutable : on présente chaque animal ou objet une seule fois seulement à l’enfant, et cela dans des conditions différentes les unes des autres (le chien par exemple peut aller et venir, ce qui n’est pas le cas pour le lapin), et sans indication de durée qui plus est, ce qui rend les comparaisons impossibles. Pour qu’un protocole soit fiable, il faut qu’il soit reproductible (par d’autres équipes) et répétable de manière identique. Une seule observation ne suffit pas à tirer des conclusions solides. En présentant des animaux plus ou moins longtemps, dans un ordre qui n’est pas contrôlé, le scientifique créé des biais et fait capoter l’expérience.

Pour l’anecdote, sachez que Watson voulait déconditionner l’enfant et démontrer ainsi la possibilité de se désensibiliser à la peur mais la maman, horrifiée (on la comprend), retira Albert des tests et on perdit sa trace. Malgré plusieurs investigations, on ne sait pas avec certitude ce qu’il advint des peurs de l’enfant une fois devenu adulte.

Cependant, plusieurs journalistes et scientifiques se sont lancés sur les traces de l’enfant disparu. Il existe plusieurs versions et hypothèses (avec de multiples rebondissements) mais plusieurs indices vont dans le sens que le petit Albert s’appelait en réalité William Albert Barger (d’où le Albert B.) décédé en 2007 à l’âge de 87 ans. Même s’il n’y a aucun moyen de vérifier son identité, l’une de ses nièces a révélé qu’il évitait les animaux en général et que les chiens de ses visiteurs étaient placés dans une pièce voisine. Est-ce le conditionnement de Watson qui avait laissé ses traces ? Personne ne le saura jamais !

Je vous laisse avec cette petite vidéo qui présente des extraits de l’expérience. Bon visionnage !

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