Afin de poursuivre la plongée dans les coulisses de la rédaction de L’éthologie (presque) facile !, je me suis dit que ce serait chouette de vous poster ici, certains passages qui ont dû être écartés du livre final, faute de place. Les deux premiers chapitres, qui explorent l’étude des animaux avant le XXème siècle et la naissance de l’éthologie moderne, sont sans doute ceux qui ont été les plus durement touchés. Mais, comme ces contenus sont très théoriques, c’était légitime de les raccourcir pour arriver plus rapidement au cœur du sujet : l’éthologie d’aujourd’hui et ses enjeux, avec plein d’exemples concrets et d’animaux mignons !
Je vous propose donc ici un extrait qui présente le modèle psycho-hydraulique développé par Konrad Lorenz, et qui explique le déclenchement d’un comportement, de manière très mécanique. Bien que désuet, ce modèle est un incontournable que tous les étudiants en éthologie voient passer dans leurs cours. Jusqu’au dernier moment, on pensait qu’il tiendrait dans la maquette…mais en fait non !
Ce court chapitre est illustré par Marine Joumard, qui avait réalisé une illustration un peu technique pour l’accompagner, et qui est donc, la seule image qui n’a pas été intégrée dans le livre. Comme elle mérite d’être appréciée à sa juste valeur, la voici donc ici !

Le comportement de roulement de l’oeuf, évoqué plus bas. La mère oie fait rouler l’oeuf jusqu’à son nid, en faisant bouger son cou et son bec de manière très stéréotypée
Pour synthétiser le déclenchement d’un comportement inné et ce qui se passe chez l’animal à ce moment-là, Lorenz propose un premier modèle très mécanique, aujourd’hui désuet, appelé modèle psycho-hydraulique ou modèle de la double quantification. Parlons donc plomberie et tuyaux !

Lorenz explique que le déclenchement d’un comportement inné, par exemple le roulement de l’œuf chez l’oie, résulte de deux composantes : la production d’excitations endogènes et le stimulus exogène clé.
La première est l’énergie interne à l’animal qui s’accumule régulièrement. C’est l’eau qui goutte du robinet et s’accumule. La seconde est un évènement extérieur à l’animal qui provoque le patron d’action fixe. C’est le poids qui pèse sur le plateau de la balance et entraîne le piston, libérant ainsi l’eau accumulée dans le réservoir. Dans l’exemple de l’oie, c’est l’œuf qui joue le rôle de stimulus clé. Et plus il y a d’énergie accumulée dans le réservoir, plus la réponse comportementale est intense, ce qui est matérialisé par le débit de l’eau qui s’écoule par des cases numérotées (1, 2, 3 ou 4 sur le dessin).
Lorenz explique que s’il y a beaucoup d’énergie accumulée, par exemple si le comportement ne s’est pas produit depuis longtemps, même un stimulus peu pertinent suffit à déclencher le patron d’action fixe. Les actions à vide, comme celles observées chez l’oie ou chez l’oiseau tisserin, vont dans son sens.
Ce phénomène est particulièrement impressionnant lorsque le mouvement s’applique normalement à un certain objet et est exécuté en l’absence de cet objet. Le tisserin (Quelea) exécute dans sa cage, même en l’absence de tout matériel de construction, l’enchaînement moteur complexe qui sert à fixer une tige à une branche d’arbre.
Konrad Lorenz, les fondements de l’éthologie, 1984
En revanche, s’il y a peu d’énergie accumulée chez l’animal, il faut un stimulus parfaitement adéquat pour exprimer le comportement. Si le patron d’action fixe est exécuté trop souvent, le seuil de déclenchement s’élève et il faut attendre avant que le comportement ne puisse se produire de nouveau. Un peu comme une chasse d’eau qui se remplit petit à petit.
Pour les prochains extraits inédits issus de L’éthologie (presque) facile !, je vous parlerai de l’expérience du Petit Albert et de la naissance de l’éthologie française et de la SFECA !
À très vite !
Pour aller plus loin
- Le livre « Les fondements de l’éthologie » de Konrad Lorenz
- La thèse de Jean-Sébastien Bolduc « Épistémologie historique de l’étude du comportement animal », qui se penche sur la notion de comportement animal dans l’éthologie dite « classique » et sa discipline-sœur, l’écologie comportementale.